Colloque d’hiver 2025
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Sous le thème : Activités dramatiques et enseignement du français.

Le colloque aura lieu à Missour du 27 au 29 janvier 2025.

Ouverture des inscriptions bientôt.

Argumentaire           

Si l’on se réfère à son étymologie, « enseigner » vient du latin classique insgnire qui signifie « mettre une marque ». Plus qu’une simple transmission de connaissances, l’enseignement se veut un acte profond qui s’inscrit dans la durée. Un acte transformateur qui dote l’apprenant d’une kyrielle de valeurs, façonne sa manière de penser et consolide ses liens avec ses confrères. Bref, l’enseignement agit à la fois sur le développement cognitif et identitaire. 

Enseigner par l’art théâtral peut être lu dans ce sens comme un pléonasme constructif qui ne peut que renforcer davantage l’impact et la qualité de l’enseignement. De par sa définition, le théâtre allie instruction et métamorphose. Acteurs comme spectateurs y subissent un charme exceptionnel qui ne manque pas de laisser en eux des traces indélébiles. Sa flexibilité et ses vertus pédagogiques attestées en ont fait souvent un levier important pour la réussite de l’action éducative.

A un certain moment de l’histoire de l’humanité, théâtre et éducation étaient conçus comme un tout monolithique. L’un et l’autre se complètent et œuvrent dans une synergie parfaite pour le bien de la société. Si l’on remonte dans le temps, on peut facilement toucher la profonde connectivité entre le travail du dramaturge et celui du pédagogue. Rappelons dans ce sens qu’à Athènes, berceau de l’art dramatique, l’éducation était la mission sacrée du théâtre. Toutes les composantes de la société se mobilisent pour que le temple théâtral soit une école à part entière à laquelle il incombe d’éduquer le peuple, de lui inculquer les valeurs fondamentales qui assurent à la Cité sa cohésion et sa force. 

Et depuis, leur jonction ne fait que se renforcer. A titre illustratif, l'Histoire retient le nom du protestant Jean Strum, fondateur de l'Université de Strasbourg, qui adressait des lettres aux enseignants sur les vertus de l'enseignement du théâtre qu'il considère comme le meilleur viaduc garantissant la sauvegarde de la culture nationale. Dans ce sens, il reconnaît que « son apport littéraire est considérable : le retour aux sources, la tragédie grecque et la comédie latine puis la diffusion des idées nouvelles et de la morale chrétienne grâce à la tragédie et à la comédie biblique ou non ».(J.Verdeil, « Théâtre et Pédagogie. A propos du théâtre scolaire ». Publié dans Les Cahiers pédagogiques, CRAP, Paris, n°337,1995.pp1-7)

 Mieux encore l'association du théâtre à l'enseignement se justifiait à l'époque par un autre lien que les enseignants tissaient entre la pratique du théâtre à l'école et la préparation à la carrière d'un bon rhéteur. Cette initiation se faisait à travers des exercices très bien définis la récitatio qui consiste en une récitation du texte accompagnée d'une gestuelle appropriée pour marquer le mouvement du texte. Cette pratique se faisait de façon régulière tout au long du parcours d'apprentissage. Puis, à travers la déclamatio qui porte sur des textes de poèmes, des discours du Cicéron ou quelques passages d'anciens orateurs grecs ou latins.

 L’accomplissement de ces activités à caractère théâtral se faisait en fin d'année lorsque les élèves affrontent, dans le cadre de la disputatio, un exercice public mettant en jeu la capacité d'organiser ses idées et de vérifier la solidité de l'argumentaire de l'adversaire. Le corps et la gestuelle se trouvent fortement sollicités étant donné que le discours improvisé est toujours appuyé par une gestuelle appropriée. C’est ce qui légitime quelque part les propos de J.Verdeil pour qui « Le théâtre sert d'abord à former le corps. On se propose de donner aux jeunes gens une voix harmonieuse, un geste libre, une démarche noble, une manière d'être élégante et distinguée. Cela pour qu'il puisse avoir cette aisance, cet aplomb, cet heureux mélange de hardiesse et de modestie qui fait le charme des jeunes gens bien élevés ».

Force est toutefois de noter que ce n’est que le XVIIIème siècle qui a permis une certaine démocratisation de la pratique théâtrale en la faisant sortir de la cour royale. La salle de théâtre accueillait ainsi tous les âges et toutes les couches sociales et socioprofessionnelles ; de même, les sujets représentés intéressaient tous les publics avec une diffusion de plus en plus large des théâtres de boulevards et ceux des foires. Dans l'ambiance de cette théâtromanie qui s'est emparée du public, une fraction importante était justement composée d'élèves et d'étudiants, ce qui va susciter l'intérêt des auteurs et des producteurs de spectacles théâtraux. Tous étaient convaincus de la nécessité de faciliter l'accès au produit théâtral et de l'arracher à une certaine conception élitiste.

 Ainsi, s’est fermentée, au niveau de la pratique théâtrale, l'idée d'un théâtre qui cible un public jeune ou moins jeune avec tous les attributs propres à cette couche sociale. Ceci nous conduit bon gré mal gré, dans notre tentative de saisir ce genre, à situer notre réflexion sur le plan des atouts de la pratique théâtrale en classe. En effet, si la dimension dramatique du théâtre est essentiellement fondée sur le jeu, dans le théâtre de jeunesse, elle l’est davantage. Nous assistons à une recherche permanente d'un ludisme qui se voit dans une mise en place spatio-temporelle et cérémonielle qui rend possible le va-et-vient entre le narré et le dramatisé. C'est à ce niveau qu'interviennent les procédés de répétition, d'accélération et d'exagération par rapport à ce qui est familier chez le jeune public. Le ludisme offre plus de possibilités de réception active, jusqu'à la participation émotive, ce qui sera entendu dans le sens d'une identification au sens brechtien du terme. C'est d'un nouveau rapport entre l'apprenant et la réalité environnante, vue et vécue par le prisme du théâtre qu'il s'agit : “ En jouant à être un autre, l'enfant découvre un nouveau point de vue, il est moins dépendant de la réalité. C'est la réalité qui commence à dépendre de lui par la représentation qu'il en a et qu'il en donne”. 

En ce qui concerne la transposition de la pratique théâtrale dans le contexte scolaire ou universitaire marocain, le théâtre jeune public demeure victime d'un entre-deux disciplinaire qui le sacrifie souvent sur l'autel d'une pratique enseignante assez orthodoxe et très ancrée dans ses sentiers battus. Comme texte, il subit l'hégémonie du littéraire qui le soumet aux mêmes schèmes de lecture que le texte romanesque. Et comme activité spectaculaire, il est automatiquement assimilé à une occupation parascolaire qui le réduit encore une fois à un divertissement simplet, se basant essentiellement sur la volonté d'un professeur et sur l'engagement des apprenants.

Pour combler une telle défaillance, il suffit de rappeler les multiples vertus pédagogiques qu'on lui attribue. Il est souvent investi comme véhiculaire d'une pléthore de valeurs de sensibilisation à des thématiques liées à la citoyenneté, à l'environnement, à la solidarité, au droit de l'enfant, à l'égalité entre les deux sexes etc,. Et ce dans l'objectif de générer le profil désiré d'un citoyen qui adopte des attitudes positives à l'égard de sa culture, de  son Histoire et son patrimoine, apte à s’ouvrir sur l'autre et sur l'universel, à co-agir avec l’autre dans l’esprit des approches actionnelles telles qu’il est préconisé par le CECRL.

 En tant qu’art de la représentation, la pratique théâtrale ne peut être conçue loin de sa dimension expressive, étant donné que le quoi représenté est constamment le produit d'un affect, d'une sensibilité quelconque et l'histoire de l'art atteste de cette double facette de toute production artistique entre le souci informatif et celui expressif. De là, le théâtre peut être investi dans le sens d'encourager l'expression libre et délibérée chez les apprenants de manière à les inciter à la créativité, à l'imagination et à la confiance en soi. 

Par l'activité de la mise en voix des textes, l'élève se trouve sollicité notamment sur le plan de son langage oral, sur la dimension prosodique et rythmique, dans la mesure où l'aspect performatif du jeu théâtral l'oblige à concevoir son texte compte tenu de son aspect ludique et spectaculaire. Cela l'amène à dépasser toutes sortes d'oralisation linéaire simplette qu'il a l'habitude de rencontrer souvent dans les séances de lecture sans pour autant négliger le travail de mémorisation des textes joués. D’ailleurs Eugène Ionesco n’a cessé de répéter : « Tout est langage au théâtre, les mots, les gestes, les objets ». C’est là l’une des raisons qui a amené les didacticiens des langues étrangères à l'école à ranger le théâtre dans la panoplie des outils pédagogiques très exploitables en classe à des fins linguistiques, car au théâtre, comme l’atteste le pragmaticien Austin, le dire se joint au faire dans le cadre des situations de communication. De surcroît, le passage au jeu d'un texte permet sa compréhension comme le note le grand metteur en scène et théoricien anglais P.Brook : « La compréhension commence au moment où le corps entre en action ». (Cité par Lucie Lévêque, Les pratiques théâtrales à l’école, disponible sur https://dumas.ccsd.fr/dumas-00763186, consulté le 18-01-2024) 

Les activités dramatiques, telles que le jeu de rôle, les improvisations, et les mises en scène de situations de communication, constituent des stratégies innovantes pour permettre une immersion linguistique efficace en FLE. Selon Dufeu (1992), le théâtre engage l’apprenant dans une démarche qui « le place en situation de communication immédiate et le pousse à prendre la parole en s’investissant personnellement » (Dufeu, La pédagogie relationnelle, 1992). Le théâtre met donc en avant l’utilisation fonctionnelle de la langue, aidant les apprenants à se concentrer non seulement sur la grammaire et le vocabulaire, mais aussi sur la communication et l’intention derrière les mots. Ce contexte d’immersion favorise une pratique authentique du français, où l’apprenant est amené à exprimer ses idées, à interagir avec les autres, et à s'adapter à des situations diverses.

L’expression orale demeure un défi pour de nombreux apprenants de FLE, notamment dans un contexte où le français est une langue seconde ou étrangère. Les activités théâtrales encouragent une prise de parole sans jugement, tout en permettant aux apprenants de s’approprier la langue de façon progressive. Selon Tardieu et Bonnet (2006), « le théâtre est un lieu privilégié pour dépasser la peur de s’exprimer en langue étrangère, car il introduit un cadre ludique qui aide à relativiser l’erreur et la honte » (Tardieu & Bonnet, Jeux de rôles et simulations en classe de langue, 2006). Les jeux de rôles ou les lectures théâtralisées, par exemple, permettent aux apprenants de pratiquer leurs compétences linguistiques tout en diminuant leur anxiété, et donc d’oser prendre des risques langagiers dans un environnement sécurisé.

L’étude de Piccardo (2014) souligne aussi l’impact positif du théâtre sur le développement de l’aisance orale des apprenants : « Les apprenants qui participent à des activités dramatiques en classe gagnent en assurance, en fluidité, et en intonation » (E. Piccardo, Enseigner et apprendre avec le CECRL, 2014). En effet, l'aspect ludique des activités théâtrales aide les apprenants à développer une communication fluide, expressive et authentique, grâce à une approche qui s’appuie sur la spontanéité et la créativité.

D’après une recherche de Paquet (2009), « les mises en scène théâtrales permettent d'aborder les thèmes culturels sous un angle à la fois ludique et émotionnel, ce qui facilite une prise de conscience culturelle plus profonde » (Paquet, Le théâtre en classe de langue, 2009). En effet, en se mettant dans la peau des personnages, les apprenants sont amenés à comprendre des situations de vie et des contextes socio-culturels différents des leurs, ce qui encourage le développement de l’empathie et une meilleure compréhension interculturelle.

La participation aux activités dramatiques stimule la créativité, cet aspect demeure souvent négligé dans les méthodes d’enseignement traditionnelles. En effet, en laissant les apprenants improviser, imaginer des dialogues ou adapter des scènes, les enseignants stimulent leur capacité à produire du langage de manière créative et personnelle. 

Il s’avère ainsi opportun de confirmer que les activités dramatiques en classe de FLE offrent des avantages multiples : elles améliorent l’aisance orale, développent la confiance en soi, enrichissent l’expérience culturelle et encouragent la créativité. De par cette approche interactive, les enseignants disposent d’un outil puissant pour transformer la classe de FLE en un espace d’apprentissage vivant et engageant. La mise en œuvre de telles pratiques au Maroc pourrait d’ailleurs favoriser une meilleure intégration linguistique et culturelle des apprenants, tout en les préparant aux situations réelles de communication en langue française.

C'est dans cette perspective que l'Association marocaine des enseignants de français AMEF, en collaboration avec le CRMEF Fès Meknès et l’AREF de la région Fès Meknès et la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Meknès comptent interroger cette expérience ludico-artistique pour mettre en exergue son potentiel pédagogique et voir sa plus-value au niveau de la pratique enseignante liée à l'enseignement du français. Et comme jalons de réflexion, les axes suivants sont proposés à titre indicatif et non exhaustif.

Axe n°1 : La pratique théâtrale : un environnement immersif de l'apprentissage linguistique.

Axe n°2 : Le dialogue théâtral : un tremplin de développement des compétences en expression orale et en compréhension auditive.

Axe n°3 : Le théâtre : une fenêtre grande ouverte sur la culture et la littérature.

Axe n°4 : Le théâtre en tant qu’outil d'intégration et de motivation scolaire.

Axe n°5 : Le théâtre : piste d'exploitation didactique de l'oral à l’écrit.

Axe n°6 : Pratique théâtrale : savoir-faire, savoir-être et savoir-devenir.

Axe n°7 : Le théâtre comme espace de pédagogie active et expérientielle.

Axe n° 8 : Théâtre et enseignement un berceau des soft-skills 

Axe n° 9 : Dramatiser pour mieux apprendre : le français en action

Modalité de soumission des propositions : les propositions de communications (1500 à 2000 signes espaces compris), accompagnées d’une brève bio-bibliographie, sont à envoyer à amefue2024@gmail.com avant le 25 décembre 2024.

Le colloque aura lieu à Missour du 27 au 29 janvier 2025.

Coordination

Abdelmajid Azouine

Yassine Heroual 

Moulay Youssef Maftah El  Kheir

Comité scientifique 

Mohammed Lahlou            Université Cadi Ayad Marrakech

Zohra Makach                    Université Ibn Zohr Agadir

Pierre Philippe-Meden       Université Paul-Valéry Montpellier 3

Amine Martah                    Université Cadi Ayad Marrakech

Omar Fertat                        Université Bordeaux Montaigne

Ouafa Benzina                    Université Moulay Ismail, Meknès

Yassine Heroual                 Université Hassan Premier, Settat

Karima Tounsi                    Institut National des postes et Télécommunications, Rabat 

Hicham Ouardi                   Université Mohammed V, Rabat

Ahmed Aziz Houdzi           Université Cadi Ayad, Marrakech

Amine Boudrika             Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle, Rabat

Mehdi Haidar                      Université Mohammed V, Rabat

Abdelilah Krim                   Université Ibn Tofail, Kénitra

Abdelmajid Azouine           Université Mohammed V, Rabat.